samedi 17 mars 2007

Les Histrions (détail)



Parce que le théâtre ça peut parfois être tellement, foisonnant, baroque, improbable, étonnant…j’ai aimé les Histrions et leur mise en scène extraordinaire, tout en mouvement et en rapidité.
Mais parce que ça peut parfois être tellement loufoque, tellement abracadabrant, tellement remuant, tellement…fatigant ! Parce qu’on est toujours tellement mal assis et que des journées de boulot de 12 heures ne prédisposent pas à passer trois heures dans un théâtre, je suis partie à l’entracte, sans regret, avec un sourire aux lèvres et beaucoup d’admiration pour la prestation des acteurs ;-).


Ce texte est tout de même incroyable, j’aimerais beaucoup le lire et connaître la suite de la genèse selon Marion Aubert, savoir ce qu’il adviendra de l’Homme Sécateur, de la Vieille du Premier Rang, de l’Homme né d’une boule de Noël et du Jardinier Céleste, le fils trop bien aimé d’Eve (qu'elle vômit sur la table après qu'il eût exploré les méandres de son colon et de son oesophage en se frayant un passage avec sa petite épée) restera-t-il diabolique ou redeviendra-t-il Jésus ?

Un extrait pour vous faire percevoir l’atmosphère :


"L'HOMME PRATIQUE : A ce moment-là, les portes du théâtre se mettraient à trembler, et l'armée des gueux viendrait terroriser la vieille du premier rang.


LA VIEILLE DU PREMIER RANG : Arrêtez !


L'HOMME PRATIQUE : Oui. La vieille du premier rang pourrait se dresser de son siège, enlever son talon puis énucléer un pauvre. Une sorte de nouvelle lutte des classes comme ça. Un combat extraordinaire. Sauvage. Athlétique. Et le couple roulerait à travers le théâtre. Et la salle commencerait à fleurer bon les arènes, et la sueur commencerait à coller aux cheveux, aux vêtements commencerait à tout rendre transparent, ils seraient complètement nus nos combattants, et la foule hystérique commencerait à encourager les lutteurs, à choisir son camp, oui, la foule débridée se mettrait à hurler des insanités, la foule chauffée à blanc, excitée, prise d'une pulsion de voyeurisme se mettrait à hurler " à poil la vioque, montre-nous tes fesses !", des horreurs comme ça, la foule incontrôlable serait prise d'un violent accès de vulgarité alors, la vieille soulevée par ses fans, par les sifflets, les huées, enivrée par l'odeur de la suée du pauvre, releva le défi, oui, à croupetons sur le pauvre, elle se mit a déboutonner un par un, et avec une dextérité extrême, les mille boutons de nacre qui retenaient sa chemise de flanelle, puis, avec un sens inné du show, elle fit tourbillonner son petit chemisier puis l'envoya valser dans la foule délirante qui se mit aussitôt à le palper, le humer, comme une relique, oui, puis elle continua son effeuillage, galvanisée par les salves d'applaudissements, oui, elle ôta son tailleur de secrétaire, ses gaines, ses jarretelles, et puis elle exhiba ses cuisses longues, profilées, des cuisses d athlète, et elle était satisfaite de s'exhiber ainsi, jamais de sa vie elle n'avait connu tant d'intensité, et le pauvre aussitôt tomba éperdument amoureux d'elle, ils se mirent à se caresser sous les yeux de la foule médusée, et tout le monde se taisait car on ne savait plus trop quoi dire devant tant d'anomalie, puis, comme souvent paraît-il dans les moments de grand bouleversement, de cataclysme, de tremblement de terre, les gens furent saisis d'un désir brusque, irrationnel, d'absolument immédiatement perpétuer l'espèce sur-le-champ, un désir compulsif, incandescent, ils se mirent à se ruer les uns sur les autres, à s'escalader en perdant toute notion de dignité, d'esthétisme, d'élégance, et sans discernement, ils se mirent à copuler comme des bêtes, oui, alors on assista dans le théâtre à une orgie incroyable et les femmes avaient trop chaud.


LE CHŒUR DES VIEILLES : J'ai chaud vous n'avez pas chaud vous j'ai chaud soudain j'ai tellement chaud.


L'HOMME PRATIQUE : Et ce soir-là, tout le monde oublia ses petits différends, et toutes les petites querelles furent balayées par un vent fou, une tornade sexuelle, oui, balayés les dettes des uns, l'ennui des autres et le chagrin, et la femme du juge était chevauchée par un nègre, un haïtien, elle n'en revenait pas c'était bon mon Dieu, oui, les femmes basculaient la tête en arrière, elles fermaient les yeux. Non. Il n'était plus vraiment question de hiérarchie sociale, de procès, de corruption. Et les hommes se prenaient pour Dionysos, ils brandissaient leur thyrse, ils secouaient leur chevelure de lierre, et de cette union sauvage, improbable, naquirent les hommes de terre.


LES HISTRIONS : C'est nous. C'est toujours nous. Fils de la poussière de l'arène, du théâtre, fils des haillons des gueux et de l'or des nantis. Éternellement hybrides. Assoiffés de reconnaissance. Fils naturels. Bâtards.


L'HOMME PRATIQUE : Et forcément, après, tout le monde se recoiffa dans un silence de mort, oui, car tout le monde eut honte de s'être livré à une telle bestialité, tout le monde fut écœuré, et les dames jamais plus ne voulurent sortir au théâtre, et tout le monde se détesta, et nous restâmes en tas. En charnier hurlant sous les projecteurs, et nous survécûmes juste pour vous raconter cette histoire. [...]"

1 commentaire:

Anonyme a dit…

sublime