dimanche 21 octobre 2007

Personnages éphémères

J'ai toujours été fascinée par les oeuvres d'Ernest Pignon-Ernest, pour leur qualité graphique, certes, mais aussi pour la puissance des émotions qu'elles évoquent en moi.

" ...au début il y a un lieu, un lieu de vie sur lequel je souhaite
travailler. J'essaie d'en comprendre, d'en saisir à la fois tout ce qui
s'y voit : l'espace, la lumière, les couleurs... et, dans le même
mouvement ce qui ne se voit pas, ne se voit plus : l'histoire, les
souvenirs enfouis, la charge symbolique... Dans ce lieu réel saisi
ainsi dans sa complexité, je viens inscrire un élément de fiction,
une image (le plus souvent d'un corps à l'échelle 1).
Cette insertion vise à la fois à faire du lieu un espace plastique et à en travailler la mémoire, en révéler, perturber, exacerber la symbolique..."


Ces merveilles éphémères, déposées comme un cadeau sur les murs des villes, sans les dégrader, révélant l'âme des lieux ont toujours eu un grand pouvoir d'attraction sur moi, comme son Gainsbourg qui trône encore dans le couloir, dernier souvenir de ma chambre d'étudiante...
La plus connue de ses oeuvres est sans doute le cultissime Rimbaud qui a fleuri sur les murs de Paris et d'ailleurs.


Et puis un soir que je traînais mon blues du côté de la Porte des Lilas, je suis tombée sur celui-ci, ou l'un de ses frères, encore plus prostré...et j'ai cru pendant quelques secondes que c'était quelqu'un qui avait besoin d'aide, je me suis même approchée de la cabine pour voir si je pouvais faire quelquechose pour apaiser cette douleur...



Et il y a quelques mois, à mon plus grand ravissement, comme je me promenais sur les docks de Brest à la recherche d'un vieux gréement, au détour d'un bâtiment désaffecté, je suis tombée sur cette scène, je n'en croyais pas mes yeux, j'ai tout de suite reconnu la patte du maître bien que n'ayant aucune culture artistique, un vrai Ernest Pignon-Ernest, chez moi ! Je suis restée au moins 1/4 d'heure à l'admirer...hélas je n'avais pas encore mon APN. Heureusement d'autres ont eu plus de chance, merci le Net ! Vous aussi ça vous évoque une crucifixion ? Ou plutôt quelqu'un qu'on décroche d'une croix, non ?



Dans le même esprit nous avons un artiste local que j'aime beaucoup lui aussi, il s'agit de Paul Bloas, j'ai commencé à voir ses grandes silhouettes noires sur les arches des ponts il y a une vingtaine d'années, je les trouvais impressionnantes mais un peu sinistres...mais là aussi quelle force dans l'évocation des émotions !

"...le travail de Bloas, par contraste est émouvant de tact, utilisant des matériaux offerts par des plantes périssables, inoffensifs à notre pierre de mémoire, il nous a fait un cadeau discret d'une caresse, d'un effleurement, d'un souffle.

Et ce que cet attouchement non agressif libère en conséquence, c'est l'âme de nos morts - qui doit exister quelque part - et émue, revient, descend, reprend le tramway. Non, rien n'a changé, tout est éternel face à ce seul éphémère que j'ai compris maintenant, maintenant seulement grâce à Bloas : la domination, l'arrogance. Main basse sur ma ville. Main basse sur quelques millions d'âmes !" (Fady STEPHAN «Impressions» L'Orient - Le Jour, vendredi 3 juin 1994)


Depuis, il y a mis un peu de couleurs mais c'est toujours le même sourire qui apparaît sur mes lèvres quand sur un mur improbable je découvre ces silhouettes qui me font bondir le coeur.